La
mort du petit Kevin Lavallée, innocente victime d'un chauffard ivre,
survient ironiquement au moment où le Québec redouble d'efforts dans
sa lutte contre l'alcool au volant.
Des
64 000 personnes interceptées dans le cadre d'un sprint printanier de
barrages routiers, seules 0,04 % affichaient un taux d'alcoolémie supérieur
à la limite permise.
Les
insultes qu'a essuyées André Sweeney à sa comparution au palais de
justice de Sorel -sans compter le procès public mené par les tabloïds
sous de gras titres du genre «Ces ivrognes qui tuent»- reflètent bien
l'état d'esprit de la population en général.
«Les
annonces publicitaires de voiture font encore la promotion de la
vitesse, qui est encore perçue comme cool
dans la
société. Par contre, les gens sont maintenant très intransigeants
face à l'alcool au volant», note Roch Tremblay, porte-parole de la
Société d'assurance automobile du Québec.
Ces
dernières années, l'alcool au volant a été responsable du décès de
200 personnes. C'est deux fois moins que dans les années 70. La
surveillance policière accrue et les publicités choc semblent donc
porter fruit.
Rien
n'est cependant tout à fait acquis et une loi plus sévère est dans
les cartons. De plus lourdes amendes et une réduction possible de ,08
à ,05 du taux d'alcoolémie acceptable sont notamment envisagées.
Et à
l'approche des bals de fin d'année, la Société d'assurance automobile
s'emploie à distribuer des dépliants dans les universités.
Contrairement
à la croyance populaire, les décès causés par l'alcool au volant ne
seraient pas le plus souvent causés par des récidivistes. «Dans 90%
des décès dus à l'alcool au volant, le conducteur en est à sa première
offense», signale M. Tremblay.
Sweeney, une
exception
André
Sweeney, qui comparaissait hier au palais de justice de Sorel, fait donc
figure d'exception. Et son histoire illustre aussi que tout n'est pas
toujours aussi noir et blanc que dans les publicités de la SAAQ.
À la
taverne Le Manoir de Massueville, on jure que la serveuse a bel et bien
fait venir un taxi pour permettre à Sweeney, un habitué de la place,
de rentrer chez lui en toute sécurité, lundi, en soirée. Le chauffeur
de taxi, qui était en fait le conjoint de la mère de Sweeney, s'est
bien pointé à la taverne, mais l'homme de 52 ans a refusé tout net de
monter avec lui, préférant se ruer sur sa voiture.
C'est
sous les yeux de sa mère que le petit Kevin Lavallée, âgé de 6 ans,
a été happé de plein fouet et traîné sur plusieurs mètres en une
course mortelle qu'un gros trait de peinture rouge sur la chaussée
vient aujourd'hui cruellement rappeler dans la rue Royale de
Massueville.
Massueville,
c'est un petit village qui, pour tout commerce, ne compte à peu près
qu'une quincaillerie, une brasserie, une taverne, un ou deux restos et
un salon funéraire. Et comble de l'ironie, un centre de thérapie, le
Tag, où les personnes aux prises avec des problèmes de drogue et
d'alcool viennent d'aussi loin que de Montréal pour se faire traiter.
«Quand nous nous sommes installés ici, en novembre 2000, nous avons dû
rassurer les citoyens, les convaincre que la création du centre ne leur
causerait aucun problème, explique Pierre Côté, un intervenant de
l'endroit. Et dès le départ, nous avons pu compter sur l'excellente
collaboration du personnel de la brasserie et de la taverne, qui nous téléphonait
dès qu'il voyait arriver l'un de nos clients en traitement.»
Bien
qu'il soit lui-même originaire de Massueville, jamais André Sweeney ne
s'est manifesté au centre Tag.
Peut-être
le regrettait-il enfin, hier, quand il s'est présenté au palais de
justice de Sorel pour son enquête sur remise en liberté provisoire. Sa
comparution a été de courte durée, son avocat Réal Quintal demandant
un report jusqu'au 18 juin le temps que Sweeney reprenne ses esprits.
«Il
pleure tout le temps et fait des crises d'angoisse, a plaidé Me
Quintal. Pour l'intérêt de la justice, il valait mieux reporter la
cause. Il est totalement démoli et n'est pas réceptif quand on lui
parle.»
Selon
M. Quintal, son client, qui a repris le chemin de la prison de Sorel,
prendrait finalement conscience de la gravité des preuves réunies
contre lui.
Les
membres et les amis de la famille Sweeney présents hier n'éprouvaient
bien sûr aucune pitié pour lui. «Évidemment, qu'il ne va pas bien,
il a soif!» a lancé une dame.
Le
procureur de la Couronne, Pierre Goulet, maintient de son côté le cap.
«On s'opposera (le 18 juin) à sa remise en liberté à cause du risque
de récidive qu'il présente et afin de ne pas miner la confiance du
public envers le système de justice.»
Les
funérailles de Kevin se tiennent aujourd'hui à 14h, à Massueville, et
les 130 élèves de son école y assisteront.
La
pancarte «Attention à nos enfants», placée bien en vue à l'entrée
du village de Massueville paraît aujourd'hui bien vaine.
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